Le 1er Août 2012, les marchés boursiers s’affolent. Des volumes de transaction inhabituels sont enregistrés sur le NASDAQ. La cause ? les automates de trading de Knight Capital, un des plus gros market-maker américain, sont devenus fous. Les automates de trading achètent et vendent tout ce qu’ils trouvent sur le marché sans logique apparente.
Knight Capital enregistre une perte de 440 millions et frôle la faillite.
Voici une explication détaillée de ce qui s’est réellement passé.
Naissance de Knight Capital
Knight a été créée en 1995. Beaucoup de changements technologiques interviennent dans les années 90 et l’émergence des courtiers en ligne permet enfin aux particuliers d’exécuter des ordres directement sur le marché sans avoir à appeler leur courtier. Il devient beaucoup moins cher de passer ses ordres en ligne que via un courtier traditionnel. Knight bénéficie à plein de ces nouveaux comportement et devient en 1997 le market-maker le plus important du NASDAQ. Knight propose un service de market-execution rapide et low-cost qui séduit. En 1998, Knight s’introduit en bourse et atteint une valorisation de 2 milliards de dollars. Fin 99, la valorisation boursière atteint 8 milliards de dollars, une réussite.
L’apparition du trading haute fréquence (HFT)
Dans les années 2000, la réduction du nombre d’interventions humaines lors du passage d’un ordre par un client n’a pas éliminée le risque de front-running. Le trading haute fréquence (High Frequency Trading) automatise le front-running des gros acheteurs. Les institutionnels sont alors à la recherche de solution pour acheter/vendre de grande quantité d’actions au meilleur prix, sans être détecté par les automates de trading haute fréquence. (Eh oui, rappelons que ce sont les institutionnels qui sont impacté par le HFT et non le particulier qui achète quelques K€ d’actions et va se plaindre ensuite sur le forum boursorama). Pour répondre au besoin des institutionnels, Knight proposa alors, comme beaucoup de courtiers de la place, des ordres algorithmiques, des ordres Iceberg, des ordres Peg etc. Les ordres Peg permettaient d’acheter ou de vendre sur plusieurs marchés jusqu’à un certain prix limite tant que l’ordre parent n’était pas totalement exécuté. Knight appela son premier algorithme de peg : Power Peg. Il permettait d’envoyer des milliers d’ordres d’achat ou de vente chaque seconde sur plusieurs marchés. Un flag permettait de déclencher le système de routage (order routing system) Power Peg.
La décimalisation et la transformation de Knight
Un nouveau système de routage d’ordre nommé SMARS (Smart Market Access Routing System) fût développé pour découper les ordres clients en ordres de plus petites tailles et les envoyer sur 50 plateformes de trading.
SMARS était capable d’exécuter jusqu’à 2 millions d’ordres par seconde et a remplacé Power Peg en 2003. Cependant, l’algorithme Power Peg n’a pas été supprimé du code des automates de Knight, seulement désactivé.
En 10 ans, le nombre de market-makers employés chez Knight est passé de 260 à 40 (en 2012). Dans le même temps, les programmeurs qui n’étaient que 5 en 2002 sont passé à 185. Les automates de Knight étaient répartis sur 8 serveurs en production.
Les mesures de l’après Flash Crash
Le 6 mai 2010 survient le flash crash. Le Dow Jones chute de 9,2% en quelques minutes sans raisons apparente. Plus de 8000 actions ont été impactées par des variations entre 5 et 15%.
Après le flash crash, des sécurités ont été ajoutées en cas de forte variation du prix d’une action. En pratique, si le prix d’une action varie de plus de 10% à la hausse ou à la baisse dans une période de 5 minutes, les transactions sont interrompues pendant 5 minutes. Les nouveaux ordres peuvent alors s’accumuler et la cotation reprendre.
Le Retail Liquidity Program (RLP)
En Juillet 2012, le NYSE (New York Stock Exchange), avec l’aval de la SEC propose le Retail Liquidity Program (RLP). L’idée générale du programme est de rediriger les ordres des investisseurs particuliers sur un unique Darkpool, géré par le NYSE où la variation minimale ne serait plus de 0,01$ mais 0,001$ (10 fois plus petite). En théorie, cette réduction du spread minimum devait avantager les investisseurs particuliers et impacter négativement les market-makers qui avaient déjà beaucoup souffert du passage à la décimalisation.
Knight était totalement opposé à ce nouveau programme de liquidité qui réduisait à néant la marge des market-makers.
Le lancement du darkpool RLP (Retail Liquidity Program) était programmé pour le 1er Août 2012. Knight fût obligé d’intégrer ce nouveau darkpool à ses automates pour ne pas perdre ses clients. Les spécificités du darkpool RLP furent donc implémentées par les développeurs de Knight fin Juillet.
Le 31 juillet 2012, la veille du lancement du darkpool RLP. Les développeurs déployèrent la nouvelle version de l’automate SMARS sur les serveurs de production mais le déploiement ne fût effectué que sur 7 des 8 serveurs.
Le jour J
1er Août 2012 :
8h (heure locale) : les ordres commencèrent à s’accumuler lors du pré-market et un message d’erreur automatique « Power Peg disabled » fût envoyé à 97 employés chez Knight. Power Peg ayant été décommissioné 9 ans auparavant, ce message n’alerte personne. Envoyer un message à tout le monde a généralement autant d’impacts que de l’envoyer à personne.
9h30 : ouverture du marché
Auparavant, il y avait un flag qui déclenchait l’utilisation du Power Peg tant que l’ordre parent n’était pas complètement exécuté. Cet ancien flag a été réutilisé pour le développement du RLP, ce qui redéclencha l’utilisation de la fonctionnalité Power Peg. Les ordres passant par les 7 serveurs à jour fonctionnaient correctement mais les ordres passant par le 8ème serveur commencèrent à utiliser l’ancienne fonction Power Peg, au lieu du nouveau mode RLP.
Le 8ème serveur commença à découper les ordres parents et envoyer des milliers d’ordres sur le marché en achetant au ask des carnets d’ordres et en vendant au bid. L’algorithme tourna en boucle sans s’arrêter impactant les cotations de 140 valeurs en exécutant plus de 2400 transactions par minute.
Les traders se sont rapidement aperçu que quelque chose n’allait pas, les volumes de transaction étaient 12% supérieurs à la normale. Certaines actions avaient exécuter l’équivalent d’un mois de transaction en quelques minutes.
Des règles avaient été mis en place après le Flash Crash du 6 mai 2010 mais elles n’étaient pas adaptées à la situation.
Les coupe-circuits mis en place se déclenche en cas de forte variation soudaine d’un prix (> 10%) et non lorsqu’un volume conséquent de transaction impacte le prix. Les variations déclenchées par les algorithmes de Knight Capital n’étaient pas assez importantes pour déclencher les mécanismes de coupe-circuits.
Knight Capital était également doté d’un système de limite par compte de trading. En clair, lorsque le volume de transaction généré par un automate dépasse un seuil, celui-ci s’arrête car le volume est considéré comme anormal. Toutes les sociétés de trading électronique ont mis en place ce type de sécurité pour limiter les risques opérationnels.
Cependant, un compte de trading ne disposait pas de limite, le compte « erreur ». Et comme l’utilisation de la fonctionnalité « Power Peg » ne faisait pas partie du processus habituel de trading, toutes les transactions ont été redirigées vers le compte « erreur » qui n’avait pas de limite. C’est souvent la juxtaposition de plusieurs erreurs qui provoque une perte de cette ampleur.
9h34 : Knight représentait 20% des volumes de transactions du NYSE. Après 20 minutes de réflexion, plusieurs réunions du management IT, il paraissait clair que les problèmes provenaient de la nouvelle version. Il fût donc décidé de remettre l’ancienne version sur l’ensemble des serveurs mais cela ne fît qu’empirer la situation.
A ce moment là, les 8 serveurs ont été rebasculés sur l’ancienne version (qui ne gérait pas le RLP). Le vrai problème était que les ordres envoyés avec le flag RLP déclenchait la fonctionnalité Power Peg sur le 8ème serveur qui n’avait pas correctement été migré. Une fois l’ancienne version rollbackée sur l’ensemble des serveurs, tous les ordres envoyés avec le flag RLP ont activé le fonctionnalité Power Peg. Le nombre d’ordre envoyé décuplèrent et les pertes s’accentuèrent.
9h58 : les développeurs localisèrent le problème et désactivèrent la fonctionnalité Power Peg pour de bon, stoppant les pertes. Après 28 minutes, le volume du NYSE était de 364 millions d’actions échangées contre une moyenne de 100 millions en temps normal.
10h15 : un premier bilan fût établi
– 4 millions de trades en 28 minutes
– Une position longue de 3,5 milliards de dollars sur 80 actions
– Une position short de 3,15 milliards de dollars sur 74 actions
12h30 : Knight fût informé que les tradres réalisés dans la matinée ne pourraient pas être annulé selon les règles du NYSE en vigueur.
Knight Capital devait en plus déboucler les 7 milliards de position en action. Se débarrasser d’une telle position est très compliquée, c’est une situation similaire à celle de la Société Générale qui devait vendre 50 milliards de position lors de l’affaire Kerviel. A la clôture du marché, la position restante était de 4,6 milliards de dollars.
Un autre problème apparu, d’un point de vue réglementaire, Knight Capital ne pouvait pas détenir une telle position.
Le règlement en action s’effectue 3 jours après la date de transaction. Knight Capital avait donc 3 jours pour trouver une acheteur pour les 4,6 milliards de dollars d’action restant.
Eviter la faillite de Knight Capital
Plusieurs acteurs de plus grande taille comme Goldman Sachs flairèrent le bon coup et proposèrent à Knight de racheter sa position avec un discount.
Mais un discount de 5% sur 4,6 milliards, représente tout de même 230 M$. Cette perte n’est que le coût pour déboucler les positions restantes, les automates ont également perdu de l’argent en achetant et vendant moins cher en boucle durant les 28 minutes de bug.
La perte totale atteint les 440 millions de dollars.
Pour survivre Knight était dans l’obligation de trouver un financement. Des offres furent faites par Citadel et Virtu Financial mais elles ne furent pas jugées intéressantes.
Pour une entreprise de trading électronique comme Knight, la réputation est extrêmement importante, si les clients n’ont plus confiance dans l’entreprise, il n’y a plus de transaction et plus de bénéfices.
Les gros clients (Vanguard, Fidelity) abandonnèrent Knight Capital ce qui empira la situation économique de l’entreprise.
Après plusieurs jours de négociation une offre de financement d’un consortium (Blackstone, Jeffries, GETCO, etc.) fût acceptée : 400M$ de cash en échange d’actions préférentiels avec une option d’achat (1,5$/action). Si converties les actions pouvaient représenter jusqu’à 73% de Knight Capital.
Après avoir remontée la pente, Knight Capital est acquis en 2012 par GETCO, une entreprise de trading haute fréquence, pour 3,7$/action.
Les erreurs de Knight Capital
Plusieurs erreurs ont mené à ce scénario :
- Knight Capital n’avait pas les bons outils, ni les bons processus, pour déployer la nouvelle version de ces automates sur l’ensemble des serveurs
- Aucun mécanisme coupe-circuit efficace n’était en place
- L’analyse de la situation par les équipes IT était incorrecte et a empiré la situation