Qui sont les détenteurs de la dette publique de la France ? Quelle est l’encours de cette dette souveraine ? Quel est le taux moyen d’emprunt ? sur quelle durée ? Est-il possible d’annuler cette dette publique ? quels sont les impacts ?
Voici des questions que beaucoup de monde se pose dans le contexte actuel alors que l’endettement de la France devrait largement dépasser 100% de son PIB en 2020 suite à la crise du coronavirus.
Qu’est ce que la dette publique ? Quelles sont les administrations publiques endettées ?
La dette publique correspond aux engagements financiers contractuels pris sous forme d’emprunt par l’Etat et les collectivités publiques. Le montant de la dette publique évolue en permanence au fil des remboursements et des nouveaux emprunts contractés pour financer le déficit.
Dette des administrations publiques au sens de Maastricht par sous-secteur (en milliards d’euros)
Administrations publiques |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
État |
1 613,6 |
1 664,4 |
1 702,9 |
1 768,9 |
1 841,8 |
1 911,8 |
Organismes divers d’administration centrale |
20,8 |
19,8 |
60,5 |
62,9 |
63,3 |
64,9 |
Administrations publiques locales |
188,8 |
196,7 |
200,1 |
201,2 |
205,7 |
210,3 |
Administrations de sécurité sociale |
216,7 |
220,3 |
225,0 |
225,6 |
204,1 |
193,1 |
Total |
2 039,9 |
2 101,3 |
2 188,5 |
2 258,6 |
2 314,9 |
2 380,1 |
La dette de l’Etat est de plus de 1911 milliards d’euros en 2019, soit 80% de l’endettement public.
Les administrations publiques locales (régions, départements, communes etc.) : 8,8%. Les administrations de sécurité sociale : 8,1%. Elles regroupent l’ensemble des régimes de sécurité sociale (régimes généraux et régimes spéciaux), les hôpitaux ainsi que les régimes de retraite complémentaire et l’assurance chômage.
Une dette pour un pays est moins pénalisant que pour un particulier.
- Un Etat n’a pas la même temporalité qu’un particulier. Un particulier devra rembourser un emprunt durant sa période d’activité, soit une quarantaine d’années. Un Etat a une durée de vie moyenne bien plus longue, il peut donc étaler davantage ce remboursement.
- Un Etat peut augmenter ses rentrées fiscales en levant de l’impôt, c’est un des privilèges de l’Etat, ce que peut difficilement faire un particulier.
- Un Etat peut souvent compter sur un soutien de poids qui est la Banque Centrale. Elle peut émettre de la monnaie et venir en soutien.
C’est pour ces raisons que les investisseurs acceptent de prêter à un Etat qui est déjà endetté.
Dans la suite de l’article, nous nous concentrons sur la dette publique de l’Etat français.
Qui détient la dette publique française ?
La dette publique de la France est détenue par des investisseurs privés résidents ou non résidents, des
banques, des assureurs et par la Banque de France elle-même. Il est difficile d’estimer qui détient précisément la dette française car une OAT (Obligation Assimilable du Trésor) peut être revendue sur le marché secondaire.
Selon la Banque de France, voici comment est répartie la dette de l’Etat français parmi les différents acteurs économiques :
Si on analyse les détenteurs par ordre croissant :
1) Les OPCVM français détiennent 1,5% de la dette française. Ce sont des fonds d’investissements possédés par des investisseurs institutionnels ou particuliers. Certains de ces fonds sont des fonds obligataires, d’autres des fonds dynamiques qui utilisent les instruments de dette pour gérer leurs liquidités.
2) Le terme « Etablissements de crédit français » désigne tout simplement les
banques françaises.
Avec 6,3% de la dette négociable de l’Etat, les banques sont loin d’être les principaux détenteurs de cette dette même si elles sont largement incitées à en détenir d’un point de vue réglementaire.
3)
Les compagnies d’assurances françaises détiennent 18,5% de la dette publique de l’Etat dont une partie via les
fonds en euros des assurances vies.
4) La catégorie « Autres (français) » représente 20% de la dette négociable détenue. Derrière ce titre peu descriptif se cache la Banque de France. Dans le cadre de son programme de rachat des
dettes souveraines la BCE a fait racheter à la Banque de France de la dette française. Ce dispositif a été mis en place pour que chaque banque nationale soit responsable de la dette de son pays et éviter la mutualisation des risques entre pays européen.
La Banque de France possède donc 20% de la dette publique négociable.
5) La majorité de la dette (53,6%) est détenue par des « non résidents », des investisseurs étrangers qui peuvent être soit des investisseurs institutionnels, soit des investisseurs privés. La France est donc majoritairement endettée vis-à-vis de l’extérieur.
En Avril 2019, Unicredit a utilisé les données du
FMI pour tenter d’identifier qui étaient les acteurs économiques derrière les 53,6% de dette détenue par les non-résidents :
- 35% est détenu par des institutions publiques étrangères (autre que la BCE), majoritairement des Etats et des Banques Centrales.
- 15% est détenu par des banques étrangères.
- 47% est détenu par des investisseurs privés non bancaires. Il peut s’agir d’investisseurs institutionnels comme d’investisseurs particuliers.
- 3% de cette dette est directement détenu par la Banque Centrale Européenne
La part de la dette publique française détenue par des non-résidents à considérablement varié sur les 20 dernières années (cf. tableau ci-dessous).
- Première phase : entre 1999 et 2009, le développement de l’euro a permis à la France d’emprunter à un panel d’investisseurs non domestiques plus large. La proportion de dette détenue par des non résidents est passée de 28% à 70,6% sur la période.
- Deuxième phase : entre 2009 et 2019. Suite à la crise des dettes souveraines en Europe, la détention de dette publique par des non résidents a chuté de 70,6% à 53,6%. Cette baisse a été compensée par l’arrivée d’un nouvel acteur : la Banque de France qui a acquis des titres négociables de dette suivant le programme de rachat de la BCE et qui détient désormais 20% de la dette publique française.
L’acquisition des dettes publiques par les banques centrales (ou via les banques centrales nationales) n’est pas un mécanisme spécifiquement européen. Depuis la crise de 2008, le bilan des banques centrales a grossi. La BCE a mis en place une politique d’assouplissement monétaire (
Quantitative easing)
dans le but d’abaisser les taux d’emprunt des pays européens mais c’est également le cas de la
FED ou de la Banque du Japon (
BOJ).
Résumé des détenteurs de la dette publique de l’Etat français.
Si l’on synthétise l’ensemble des informations que nous venons d’analyser et que l’on croise les données de l’AFT (Agence France Trésor), de la Banque de France et du FMI, on peut estimer que les principaux détenteurs de la dette française sont les suivants :
Détenteur de dette publique française |
% de détention |
Estimation au 29/02/2020 |
Investisseurs étrangers (hors banques) |
25,2% |
465,5 Mds€ |
Banque de France |
20,0% |
369,6 Mds€ |
Institutions publiques étrangères (hors BCE) |
18,8% |
346,7 Mds€ |
Compagnies d’assurances françaises |
18,5% |
341,9 Mds€ |
Banques étrangères |
8,0% |
148,6 Mds€ |
Banques françaises |
6,3% |
116,4 Mds€ |
Banque Centrale Européenne (BCE) |
1,6% |
29,7 Mds€ |
OPCVM français |
1,5% |
27,7 Mds€ |
A quel taux la France emprunte-t-elle ? sur quelle durée ?
Selon l’Agence France Trésor, chargé de gérer la dette publique et la trésorerie de l’Etat : « Au premier trimestre 2020, la France a émis 72,4 milliards d’euros de dette à moyen et long terme à des conditions de financement exceptionnelles, avec un taux moyen pondéré de -0,07 %, négatif comme lors des troisième et quatrième trimestres 2019. »
La durée de vie moyenne des obligations émises par l’Etat est de 8 ans et 95 jours.
Annuler la dette publique de la BCE ?
L’idée d’annuler la dette détenue par la BCE resurgit en cette période de crise.
Or, comme on l’a vu précédemment c’est la Banque de France qui détient une partie de la dette publique française et non directement la BCE.
Une banque centrale n’a pas les mêmes contraintes qu’une banque commerciale (BNP, SG, etc.). Elle peut théoriquement fonctionner avec des fonds propres négatifs puisqu’elle a la capacité de créer de la monnaie.
Pourquoi ne pas annuler entièrement la dette publique française ?
L’annulation de la dette publique des créanciers privés poserait plusieurs problèmes :
1) Constitutionnellement, cela irait à l’encontre du droit à la propriété.
2) Les conséquences de l’annulation d’une dette souveraine sont difficiles à mesurer. Cela impacterait la solvabilité des banques qui ont été fortement incitées à investir dans les dettes souveraines via les exigences en fonds propres. La valeur des fonds en euros proposés dans les assurances-vies plongerait. Les fonds en euros proposant une garantie en capital, c’est théoriquement l’assureur et non l’assuré particulier qui épongerait la dette. Cependant, le bilan des assureurs ne permettra pas d’absorber les pertes liées à l’annulation des dettes souveraines et ceux-ci ne pourront donc pas rembourser la valeur garantie des fonds en euros. L’assurance vie représente 1785 milliards d’euros d’encours dont 80% placés en fonds en euros. Les investisseurs particuliers pâtiraient donc en grande partie de cette annulation.
3) Il serait très difficile de retrouver des prêteurs privés après avoir fait défaut. La France n’ayant jamais su boucler un budget à l’équilibre depuis quasiment 50 ans, l’absence de prêteurs pour financer le déficit serait très handicapant.
La dette publique n’est pas un sujet simple. Comme nous l’avons vu, la dette de l’Etat français est détenue par des nombreux acteurs économiques et la plupart ne sont pas résidents. La dette de la France n’est donc pas une dette domestique. L’annulation de cette dette aurait cependant énormément d’impacts sur les acteurs domestiques puisqu’une partie de l’épargne des français est investi dans des dettes souveraines européennes.